Dans toutes les affaires criminelles, il y a les mensonges. Bien entendu ceux-ci peuvent revêtir diverses formes, ils peuvent être édulcorés, travestir la réalité, et même contenir une part de vérité. C'est pour cela qu'existe la Justice, pour faire la part des choses en entendant la version de l'inculpé(e). Or, dans l'Affaire Dupont de Ligonnès, l'absence du père de famille laisse l'opinion publique avec les seuls éléments diffusés dans la presse. Et parmi ces éléments, se trouve maintenant une lettre attribuée à Xavier Dupont de Ligonnès, intitulée "Courrier à notre famille et à nos amis", datée "Nantes, 8 avril 2011" et rendue publique par Le Figaro.*
La lettre apporte un certain nombre d'éléments sur le présumé départ précipité de la famille aux Etats-Unis, présentés avec une apparente crédibilité. A noter que pour les autres personnes en relation d'une manière ou d'une autre avec les Dupont de Ligonnès, le message est qu'ils sont partis en Australie. Dans cette lettre, débutée par une formule d'humour noir "Coucou tout le monde" et "Méga surprise", après le préambule il est écrit en premier : "Lorsque nous avons créé notre société à Miami en 2003,...".
La phrase fait ici référence à la société que Xavier Dupont de Ligonnès a enregistrée en Floride le 20 février 2003, au terme du voyage de neuf mois effectué en camping-car aux Etats-Unis par le couple et leurs enfants et qui s'achève au coeur de l'hiver 2002-2003 à Miami. Entre novembre 2002 et août 2003, la famille Dupont de Ligonnès vit dans une résidence située en bord de mer, sur Pompano Beach, à Lauderdale-By-The-Sea.
Retrouvée sur Google la résidence dans laquelle la famille Dupont de Ligonnès a vécu à Lauderdale-By-The-Sea en Floride. |
Toute la famille Ligonnès loge durant neuf mois au A Little Inn by the Sea, qui se présente comme un Bed and Breakfast on the Beach, un établissement maintenant disparu et qui a fait place, sur les images Google Street View, à une grande pelouse vide.
Le Little Inn by the Sea en mars 2011 |
Dans la version présentée du "programme fédéral de protection des témoins", la lettre liste les soi-disant "Avantages" et "Inconvénients" pour la famille. Parmi les inconvénients, concernant les deux malheureux labradors, retrouvés abattus et enterrés sous la terrasse de la maison à Nantes en compagnie des membres de la famille, le cynisme le dispute à l'abjection. La lettre indique "Obligation de donner les chiens : heureusement, une personne a pris les deux (il ne seront donc pas séparés)."
Cette lettre, qui ne comporte en apparence aucune faute de langage, aucune rature, dont la ponctuation est parfaite, laisse un trouble indescriptible. On peut imaginer, comme pour l'affaire Romand, que les chiens seraient susceptibles de reconnaître ultérieurement leur maître et que cette décision ultime apparaît à l'auteur comme la seule envisageable. Elle reste pourtant choquante parce qu'il était effectivement possible de trouver une autre solution pour les chiens, même en les séparant.
Suivent à destination des amis et quelque peu de la famille restante ce que l'on peut qualifier d'"instructions" ou de "directives", parmi lesquelles on trouve "Vendre
la Golf cabrio et la Xantia (...)". S'ajoute une précision concernant la Citroën C5 avec laquelle Xavier Dupont de Ligonnès se rendra à Roquebrune-sur-Argens après avoir effectué plusieurs centaines de kilomètres : "(Nota : La C5 étant invendable,
elle a été refilée pour pièces au père d'un ami d'Arthur.)". Ce détail se trouvant juste quelques lignes au dessus de la phrase maintenant notoire relative aux "gravats et autres bazars entassés sous la terrasse" dont la lettre dit qu'il est "inutile de s'occuper".
La Golf cabriolet d'Agnès Dupont de Ligonnès et la Citroën Xantia break de la famille étaient restées stationnées non loin de la maison du drame. Sur cette vidéo de l'INA on voit qu'elles ont été emmenées le 21 avril 2011 sous l'oeil des journalistes. L'image extraite ci-dessus montre que la Xantia était en fait garée sur le boulevard perpendiculaire, à quelques mètres de la maison. Étrange environnement au regard de l'Affaire. La voie s'appelle le "Boulevard des Américains". Et face à la porte d'entrée de la maison se trouve un arrêt de bus, arrêt de bus appelé "Américains". C'est-à-dire qu'à chaque fois qu'un membre de la famille sortait dans la rue, ou allait stationner sa voiture, le mot "Américains" venait devant ses yeux.
De l'autre côté, à quelques mètres à peine de la maison, sur le trottoir d'en face, se trouve La Poste du quartier, avec une cabine téléphonique devant. Et il y a aussi la boîte aux lettres scellée au sol que tout le monde en France connaît maintenant. Est-ce dans cette boîte que la lettre délirante du 8 avril a été postée en plusieurs exemplaires ? Elle se termine par ces mots en forme de signature "Xavier, Agnès, Arthur, Thomas, Anne et Benoît (le plus dur va être de nous habituer à nos nouveaux noms ... !)".
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Au sujet de cette lettre de quatre pages non signée, envoyée en 2011 à la
famille et aux proches de Xavier Dupont de Ligonnès avant sa
disparition, plusieurs sites mentionnent que le Figaro l'a dévoilée le
vendredi 22 juillet 2022. Or, la page Wikipédia sur l'Affaire fait
référence à une version du Figaro que l'on peut retrouver sur
Wikiwix.com comme archivée à la date du 15 novembre 2021. https://www.lefigaro.fr/assets/pdf/lettre_dupont_ligonnes.pdf. Autre source : transcription en Anglais d'un article de Society. Bed and Breakfast on the Beach = Chambre et petit-déjeuner sur la plage. Images : Jackmac34 de Pixabay, Google Street View + INA.